Prendre le temps et ne pas remplir le vide

J’ai discuté avec Olivier au téléphone, normal en période de confinement. Il était frappé comme moi de la mauvaise lecture du mot « confinement ». Là où lui lisait « protection », d’autres voyaient « le grand enfermement » appelant en renfort Surveiller et punir de M. Foucault. Pour perdre la liberté encore faut-il la posséder. Olivier évoque ces temps de la course effrénée, ces moments d’abandon où on sait plus qui on est. Inédite expérience que celle d’un discours présidentiel où on vous demandait de rester chez vous, et de prendre le temps de lire. On a raison d’égratigner un Président quand il commet une bévue, mais quand il dit une parole juste, l’intelligence journalistique serait de s’en rendre compte. Cette parole c’était l’occasion, le bon moment. L’opportunité pour ce praticien-thérapeute de vivre une expérience inédite.

la démarche ici consiste à guider l’individu à se retrouver soi-même, un soi toujours en réécriture ou plutôt agencement, métaphore spatiale plus conforme à l’esprit de la démarche. Olivier était il y a quelques années encore Paysagiste DPLG et travaillait avec de nombreux architectes et urbanistes. L’organisation de l’espace dans son rapport au temps et à soi-même, est pour lui essentiel, non anodin, à condition de ne pas réveiller les préjugés, voire les banalités sans intérêt. Comment se trouver quand on est tellement pris dans les rouages du travail que l’on en est un engrenage passif et consentant ? Charlot dans les Temps Modernes n’est qu’une caricature minimisant une condition humaine universellement partagée, c’est-à-dire ne se réduisant pas au seul milieu ouvrier. Comment oser encore parler de liberté quand cette séparation de soi d’avec soi est source de division, traduction du skizein grec qui donnera la « schizophrénie ». Visage radieux de l’aliénation quand chacun est à son poste, comme chaque objet occupe une place déterminante dans les tiroirs cachés du meuble en vernicas ?

Il suffit d’un simple déplacement pour que l’espace se recompose. Leçon à tirer de l’architecture japonaise qui crée l’espace à partir des objets, intégrant le vide comme condition du plein. La reconnaissance scientifique du vide n’est pas si ancienne que cela. Plutôt que de le réfléchir, Descartes fait de l’espace une grande « éponge », une façon de l’absorber, de régler le problème. Newton recourt à l’image déjà usée de l’éther qui s’interpose entre la lune et la terre, le vide le faisant frissonner. Tout ceci pour dire que ce n’est qu’à partir de la théorie quantique que la pensée scientifique occidentale rejoint les intuitions taoïstes et bouddhistes. le vide n’est pas le rien. Il y a une plénitude du vide.

Comprendre cette distinction est rendue possible aujourd’hui par l’ injonction présidentielle : restez chez vous. On l’appelle le confinement. Il s’agit aussi, par delà la question médicale, de se mettre à distance de soi, dans un lieu qui s’y prête un temps donné. Echapper au temps qui n’est pas celui de notre corps et de ses ressentis, le temps d’une pause. Une pause pour se ressaisir dans une recherche de soi. Ce que nous offre d’inouï le confinement, c’est cette liberté, cette vacance ou ce vide. Ce ne sont donc pas des vacances.

Maryse Emel

Portrait d’Olivier Berger